L’appartement déséquilibré, c’est un projet de peinture que j’ai mené dans mon appartement, en considérant toutes les surfaces de ce lieu comme de parfaits supports pour une recherche de couleur et de lumière, avant tout une recherche de beauté. Avant cela, je peignais dans une pièce de cet appartement sur du bois, du verre, de la toile, du tissu, du papier, aimant la texture et la vie qu’apportaient aux tableaux ces matériaux trouvés pour la plupart. Je décidai un jour de peindre sur les murs, les fenêtres et les meubles.

L’appartement déséquilibré, ce sont des centaines d’actes de peinture, de réparation, de pose d’enduits, d’achats, de trop nombreux achats de matériel, de dépenses d’argent sans retour, de journées désordonnées faites de vide puis de trop-plein, d’incapacité d’agir puis de tentatives sans cesse répétées et parfois efficaces de donner une forme visible à ce rêve de l’appartement peint.

L’appartement déséquilibré, c’est également le nom d’un texte écrit en parallèle à ce projet (visible sur le site de l’auteur François Bon). J'ai commencé ce texte et ces peintures au même moment, à la suite d'un évènement tragique : un incendie dans l'appartement situé en dessous de celui où je vivais, à Paris, l'après-midi du 22 février 2016. Une personne décéda. L’immeuble en fut totalement transformé, en apparence et en profondeur. Peindre l'appartement, c'était tenter de répondre à un déséquilibre inattendu.

L'incendie a redécoré mon appartement. Tout y est devenu gris et sale, de même dans mon atelier. Mes tentatives antérieures, consacrées à peindre une surface d'une certaine couleur et texture jusqu'à ce qu'elle semble tel un extrait de lumière, s'annulèrent. Je me renfermai dans l'appartement devenu caverneux. Je m'embrouillai dans un nœud de sensations, me désintéressant du monde extérieur, il ne restait plus que le feu et moi, son obscurité et mon désir de lumière.


Tentatives d'extraire la lumière


Je n'ai pu m'empêcher de penser que les surfaces de cet immeuble laissaient transparaître ce qui l'habitait désormais, une pulsion destructrice, morbide, menaçante... Je décidai de les peindre pour effacer cette présence obscure. À l’expressionnisme du feu j’opposai mon minimalisme. À sa noirceur mes couleurs. À sa rapidité ma lenteur.

Mais l’appartement déséquilibré, ce sont aussi ces pages. Tel un appartement aux nombreuses pièces, où chaque tableau est présenté sur une page aux murs blancs. Avec cet espace, je veux évoquer l'appartement intérieur de chacun, son déséquilibre ou équilibre, et l'endroit où pour chacun encore il se trouble ou se trouve.

Laure Rocher Luna